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Evolution de nos comportements alimentaires

Philippe Cahen

Philippe Cahen est conférencier-conseil en Prospective

Rarement, nos comportements alimentaires n’ont évolué aussi vite que ces dernières années. Avec d’ailleurs des contradictions surprenantes, mais démontrant bien que l’Homme est avant tout libre !

Prenons le bio et sa suite, le végétalisme, donc le vegan, puis une contradiction absolue : l’obésité.
Le bio est en moyenne une alimentation récente, 7 ans. Un consommateur de bio en consomme au moins une fois par mois (source Agence Bio : Agence Française pour le Développement et la Promotion de l’Agriculture Biologique. Il serait intéressant que cette agence dise combien de produits sont consommés mensuellement par une personne : 100 ? 1.000 ? 10.000 ?) ce qui correspond à 12 % de la population en 2017, 16 % en 2018.

En devenant significative, cette population change, elle devient méfiante : méfiante sur le prix, méfiante sur la qualité, méfiante même sur le caractère bio de la production et sa réalité. La part prise par la grande distribution (proche des 50 %), y est pour beaucoup dans cette méfiance. Les familles avec enfants sont très sensibles à l’alimentation bio. Les 18-24 ans – qui en général ne gagnent pas ou peu leur vie – trouvent normal de payer plus cher (47 %) et sont attachés (37 % contre 28 % pour l’ensemble de la population) au bien-être animal.

La suite (« suite » n’est pas le meilleur mot) de l’alimentation bio est prise par l’alimentation végétarienne, puis végétalienne – vegan – de produits bio. Le bien-être animal prend aujourd’hui une sensibilité certaine dans la population. Les produits issus des animaux sont donc de plus en plus couramment condamnés et Danone envisage, après le rachat de WhiteWave, d’abandonner le lait d’origine animale. Kering (Gucci, etc.) quant à lui travaille sur des « cuirs » non animaux. C’est donc un profond mouvement qui se met en place avec la contestation de l’élevage de tous les animaux et donc des changements des exploitations agricoles. Des mouvements antispécistes donnent lieu à des violences envers des éleveurs et vendeurs d’animaux d’alimentation humaine. Ces mouvements sont mondiaux tout au moins dans les pays de l’OCDE.
Donc l’alimentation humaine, sur ces aspects est en pleine mutation… et en interrogation.

On pourrait croire après ces constats que l’Homme mange mieux, plus sain, et est donc en meilleure santé.
Il n’en est rien.

L’obésité se développe dans le monde (en France l’obésité augmente faiblement comme en Europe sauf UK, et Japon). L’obésité est une épidémie (selon l’OMC) mondiale : 13 % des adultes en 2015, vers 20 % en 2025. L’alimentation est souvent industrielle et trop riche, et la vie sédentaire amplifie le drame. Or l’obésité contribue à des maladies cardiovasculaires, diabète, problèmes articulaires, troubles respiratoires, etc. Être obèse a un impact, notamment pour les femmes, sur une image sociale (l’emploi par exemple) plus négative que pour l’homme. Aux États-Unis, on attribue à l’obésité la baisse de l’âge de mortalité moyen des femmes.

Paradoxalement, sur une étude (Imperial College de Londres) de 112 millions d’individus dans 200 pays et contrairement aux idées reçues, la croissance de l’obésité est plus forte dans les zones rurales que dans les zones urbaines pour trois raisons principales. Dans le monde rural, les métiers de l’agriculture consomment moins de calories du fait de la mécanisation. Les habitants du monde rural vivent comme à la ville et recherchent la nourriture industrielle le plus souvent moins chère alors qu’on les imagine cultivant leur jardin. Ils ne trouvent pas les équipements sportifs attendus alors qu’on les imagine profitant de la nature.

On arrive donc à un paradoxe puissant : les habitudes alimentaires vont vers une surveillance accrue de l’alimentation par le bio, et la baisse de la consommation de viande qui est fréquemment trop importante. En parallèle, la population mondiale grossit (en poids) tout en sachant qu’elle prend des risques importants pour sa santé. On peut néanmoins affirmer que les premiers ont des moyens financiers pour se nourrir que les seconds n’ont pas.

Alors faut-il pour autant promouvoir une agriculture finalement « élitiste » au détriment d’une population pour qui ce comportement alimentaire n’est pas « normal », voire inaccessible.
L’alimentation couvre aussi d’autres aspects qui seront abordés une autre fois…
Je repars en plongée.
 
Philippe Cahen