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Les années 20 furent/seront les Années Folles

Philippe Cahen est conférencier-conseil en Prospective

Que sera la décennie à venir ? Si les années 20, 192, furent il y a un siècle les Années Folles, les années 20, 2020 à venir seront-elles aussi les années folles, au sens d’« insensé », qui n’ont pas de sens, qui sont contraire au bon sens, à la raison. Dans ma boule de cristal des signaux faibles, le futur est tout et son contraire. Sur cette base foisonnante, j’imagine une prospective de six scénarios pour la décennie à venir. Six scénarios contraires à la raison, au bon sens, contradictoires. Six scénarios fous. Pour les années folles.

1. L’écologie  

C’est le scénario frappé du bon sens, du sens commun. Il faut que le monde bascule dans l’écologie. Nous avons dix ans pour consommer moins de carbone donc moins d’énergie en passant à la voiture électrique et en prenant moins l’avion et plus les transports en commun terrestres, en consommant moins de viande, en basculant vegan ou presque, en produisant moins de déchets et en interdisant les emballages non recyclables et les produits à durée de vie courte. L’écologie, c’est basculer dans l’agriculture responsable.

L’écologie, c’est avoir un capital carbone annuel dont chacun se voit débiter la consommation à chaque dépense. L’écologie, c’est produire en partie soi-même, c’est acheter directement au producteur. L’écologie, c’est retrouver les liens perdus dans son quartier, dans sa famille tribu, dans son travail, dans ses associations. A vrai dire, dès 2025, on bascule dans l’écologie dure. Sinon …

2. L’effondrement
 
Sinon … Dans ce scénario, c’est déjà trop tard. On ne peut plus lutter contre le réchauffement climatique, il s’emballe. Les +6° ou +8°C attendus pour la fin du siècle seront +3° d’ici la fin de la décennie et +3°C sont une moyenne avec parfois +6, parfois +1. L’emballement climatique, les accidents climatiques, vont s’accélérer et les récoltes agricoles seront de moins en moins certaines, comme la vigne à vin de 2019.

Les villes vont se vider de leurs habitants pour résister à la chaleur ambiante plus élevée que la moyenne annoncée. Les survivalistes ont bien raison de se mettre en résistance en cultivant leurs lopins de terre dans des villages isolés. Et ceux qui imaginent la fin de l’espèce humaine pour 2050 sont en fait des optimistes. De toute façon, mettre un enfant au monde dans un univers de pollution est un crime. La faune et la flore ne suivent pas les dérèglements climatiques et l’Homme est spectateur de cet effondrement trop puissant. Spectateur impuissant.

3. Le tout techno
 
Les technophiles sont quant à eux persuadés que l’anthropocène – l’Homme domine la Nature – va connaitre son épanouissement. Non seulement l’Homme va maitriser la production agricole notamment par les fermes verticales urbaines qui vont produire l’équivalent de 1.000 fois la surface au sol de pleine terre (ou pleine serre), mais il va développer des espèces animales et végétales s’acclimatant aux soubresauts du climat.

Il maitrisera en partie le climat notamment dans les grandes métropoles grâce à la puissance financière de celles-ci pour la protéger des aléas climatiques et de pollution. La technique permettra de mieux isoler les bâtiments de travail ou d’habitation, les transports vont passer en collectif et d’usage qu’ils soient au sol ou aériens ou souterrains. La crainte d’insuffisance de matériaux et terres rares sont injustifiés tant les découvertes sont importantes aussi bien sur terre que sous fonds marins. Quant à l’énergie, le stockage de l’électricité s’améliore et la performance des énergies renouvelables sont en amélioration constante. Le Royaume-Uni a basculé majoritairement en énergie renouvelable en 2019. La Chine va rapidement le rattraper. L’Homme fait face à toutes les évolutions.

4. Le tout sage
 
En fait, loin des extrêmes, l’Homme est intrinsèquement sage, raisonnable. Vous souvenez-vous comme la cigarette a disparu du jour au lendemain des cafés italiens et français. Eh bien l’Homme est là. Devant le danger et le gendarme, il sait se montrer raisonnable. Il va généraliser le consommer moins – consommer mieux et dans le fond il s’en porte mieux. Sa santé est meilleure. Son porte-monnaie se regarnit. Il apprécie mieux les choses et en tire une plus grande jouissance. Non qu’il souffre de manque, mais l’abondance lui avait fait perdre le sens des choses, de la vie. En retrouvant la santé, en retrouvant la famille, en retrouvant les amis, l’Homme a plus d’enfants ou tout au moins suffisamment pour que l’espèce se reproduise …

5. La fuite
 
Dans les années 20,2020, les écolos et les survivalistes auront gagné, la population va fuir les métropoles. D’une part elles sont devenues trop chères, d’autre part la vie y devient intenable avec des alertes pollutions régulières. Autant vivre dans des villes moyennes où la qualité de vie est assurée, plus tranquille, moins polluées. Et les techniques modernes permettent de travailler à distance et parfois rejoindre la métropole. C’est une vie paisible retrouvée avec son potager et sa famille. Les avantages de la grande ville ne sont que de la consommation dont l’offre est équivalente à distance, bien sûr sans le direct, mais aussi sans la foule. Une vie partagée entre la culture des radis et la vie derrière l’écran. Une vie plus douce, plus calme, plus vraie.

6. Le nouveau monde
 
L’homme, la faune et la flore sont faits pour s’adapter aux circonstances. Cela fait des milliers d’années qu’il en est ainsi. Le Sahara fut une immense oasis de verdure. Sous le sable, il n’est pas mort. Les dérèglements ? Faune, flore et Hommes s’adaptent. Imaginons la fonte des glaces du nord de l’hémisphère Nord, Sibérie, Canada et Alaska, Groenland libérés des glaces. Les GIEC le pensait pour 2090.
Ce peut être pour les années à venir. 20 millions de km² libérés, c’est un nouveau continent, un nouveau monde ! Or tout mouvement terrestre a son aspect positif et négatif : imaginons le Gulf Stream s’écarter des cotes européennes … le climat continental s’installe. En balance, d’autres territoires vont basculer en climat tempéré ou moins froid qu’actuellement. Bien sûr, cela peut prendre des décennies ! Mais au rythme actuel du dérèglement, on perçoit bien des accélérations. Parions !
 
Ces six scénarios peuvent être insatisfaisants. Ils ne sont évidemment pas si caricaturaux … quoique … Ils ne sont pas uniques. D’autres sont envisageables pour ces Années Folles. Mais chacun trouve finalement sa conviction. Or si l’on revient il y un siècle, après la Grande Guerre (18,6 millions de morts) et la Grippe Espagnol (au moins 20 millions de morts), rien ne laissait présager a priori la folie économique et créative des … Années Folles. Rendez-vous fin 2029 pour voir ce que furent les Années Folles !
 
Je repars en plongée …

Un signal faible est un fait paradoxal qui inspire réflexions. Ce sont ces réflexions que développent ici Philippe Cahen, signauxfaiblesologue.