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Liberland, cité-État libre

Julie Rousseau

Inspirée des théories de l’économiste libéral Paul Romer la « croissance endogène », une cité-État libre a vu le jour en 2015 entre la Serbie et la Croatie. Vit Jedlicka, son créateur, est tchèque. Il rêve d’une prospérité comparable à celle des villes franches du passé, dans l’Europe médiévale, et des villes franches contemporaines en Asie, notamment en Chine.

Vit Jedlicka, tchèque, a créé en avril 2015 le Liberland, territoire d’à peine 7 km2 sur la rive ouest du Danube entre la Serbie et la Croatie, une bande de terre résultant d’un changement de lit du Danube, située dans les eaux internationales du Danube et non revendiquée. Vit Jedlicka a décidé d’y établir une cité-État libre.
 
Le futur Monaco des Balkans ?
 
La Constitution du Liberland s’inspire de celles des États-Unis, de la Suisse et de l’Estonie. Les donations remplacent l’impôt, les cryptomonnaies ont cours, l’administration et le gouvernement sont réduits au strict minimum. Grâce à un budget de 250 000 dollars, fruit de la libéralité des donateurs — parmi lesquels des entrepreneurs des nouvelles technologies — et grâce à une spéculation sur la hausse du Bitcoin, Le Liberland achète des bateaux, investit à Apatin et assure des frais de représentation à son président, qui parcourt la planète pour vendre la cause de ce nouveau pays. Ses modèles sont Monaco, Hong-Kong, Singapour... Selon la Convention de Montevideo de 1933 sur les droits et les devoirs d’un Etat, un État souverain doit « être peuplé en permanence, contrôler un territoire défini, être doté d’un gouvernement et être apte à entrer en relation avec les autres Etats ». Malgré son organisation, le Liberland est donc encore virtuel. Mais Vit Jedlicka y croit : « Encore quelques années et nous serons un membre à part entière de la communauté internationale. » (1)

Les villes franches et les cités-États
 
L’idée de ville franche et de cité-État a un passé glorieux. L’Europe en est le berceau. Durant le Moyen-Âge, des seigneurs établirent des chartes pour libérer certaines villes de nombreuses contraintes légales et leur accorder plus d’autonomie (élection d’un maire, fixation de l’impôt…). Les populations paysannes ont migré peu à peu dans ces bourgs, avant de se spécialiser dans des métiers plus lucratifs qui préfigurent la création d’une classe bourgeoise.
Paul Romer, prix Nobel d’économie en 2018 avec William Nordhaus, soutient que c’est l’un des signes précurseurs de l’avènement de l’ère industrielle et des Lumières.

Les cités-États furent les plus formidables exemples de l’expansion économique du Moyen-âge tardif. Leur gloire d’antan resplendit encore aujourd’hui : les villes italiennes (Venise, Pise ou Gênes…), les villes de la ligue hanséatique (Hambourg, Lübeck, Riga, Brême…), les villes de Strasbourg et de Metz en France, les Provinces-Unies des Pays-Bas, les villes libres des cantons suisses (Zürich, Berne, Bâle ou Genève) et d’une certaine manière la City de Londres…
L’intérêt de ces villes est d’avoir brisé le carcan institutionnel de la féodalité. Ces cités-États se tournèrent vers le commerce et les échanges, s’affranchissant des seigneurs.

Les villes franches d'aujourd'hui en Asie

Les cités-États actuelles que sont Singapour ou Hong-kong sont les lieux des plus gros booms économiques de ces dernières décennies.

Voyant le succès de ces deux petits ports, la Chine s’en inspire dans les années 80. Elle crée des « zones économiques spéciales » délivrées des contraintes communistes, abaissant ou supprimant l’impôt sur plusieurs années pour les entrepreneurs souhaitant démarrer une activité. Et ce fut un véritable succès.
La République populaire de Chine étendra ces régimes spéciaux à une quantité de villes côtières qui, toutes, prendront leur essor et deviendront les poumons économiques de l’Empire du Milieu.
La croissance chinoise provient de ses villes franches.
 
(1) https://www.liberation.fr/planete/2018/08/06/liberland-l-eldorado-virtuel-des-ultraliberaux-du-danube_1671207