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Quand le perfectionnisme cache une vulnérabilité narcissique

Olivier Meier, Professeur des Universités - LIPHA Paris Est

Il est amusant de constater dans de nombreux entretiens, l'habilité de certains, à l'évocation de leurs défauts, de présenter le perfectionnisme comme un des leurs, pensant répondre à la question, tout en faisant valoir des qualités cachées de détermination et de sérieux. De tels propos laissent également sous-entendre un engagement personnel, un goût pour l'exigence et la perspective d'un travail final de qualité. Or bien souvent, l'utilisation de ce terme, loin d'être anodin, cache en réalité une vulnérabilité et une fragilité plus profondes.

Il ne s'agit pas ici de traiter de l'aspiration de tous de parvenir à des résultats intéressants et à forte valeur ajoutée. De même, Il convient d'encourager toute énergie positive, pouvant conduire à de grandes réalisations dans la Science (recherche scientifique), les Arts (peinture, musique, littérature) ou le Sport (danse, gymnastique, athlétisme...). Enfin, un travail de qualité nécessite de la concentration et le souci du détail. Mais ce type de comportements est envisageable et acceptable, lorsqu'il s'inscrit dans une démarche qui admet l'échec, l'incertitude et une certaine forme d'inachevé. En effet, vivre, c'est accepter de se heurter à la réalité, c'est-à-dire au réel, à ce qui est par définition imparfait.

Or le perfectionnisme sous sa forme extrême consiste à se comporter comme si le bien et la perfection pouvaient être atteints. Le sujet concerné va s'inscrire dans une quête d'absolu, en s'efforçant compulsivement et continuellement à revendiquer une réalisation irréprochable. Cette forme de perfectionnisme n'est pas à proprement parler un trouble au sens d'une agitation ou d'un désordre intérieur (addiction, affection) qui pourrait demander un traitement médical. Elle est plutôt la traduction d'une vulnérabilité psychologique, qui consiste à éviter des situations où l'on pourrait apparaître imparfait. Il s'ensuit alors un risque récurrent et permanent d'insatisfaction, quelle que soit la performance réalisée.

Le sujet perfectionniste cherche notamment à éviter que son travail puisse donner lieu à des critiques, à des reproches qui pourraient entamer sa confiance, son estime de soi ou son estime sociale. L'inachevé s'apparente pour lui comme le résultat d'une contre-performance. Il éprouve de l'insatisfaction (voire de la honte) qui renvoie ici à des défaillances narcissiques souvent en lien avec l'enfance et l'adolescence.

Face à cette crainte de l'échec et au risque d'être jugé, le sujet perfectionniste va être dans l'incapacité de finaliser son projet. Il va alors miser sur la recherche de stratégies alternatives pour éviter toute forme d'évaluation. Ses stratagèmes peuvent être divers: l'auto-handicap qui consiste à créer des obstacles sur le chemin de la réalisation de la tâche ("il y a eu des contre-temps"), le report de la responsabilité des choix à une autre personne  ("c'est de sa faute ") ou la sublimation de buts irréalistes mais valorisants socialement ("l'impossibilité de remettre son travail tant que certaines conditions ne seront pas remplies").

Le sujet perfectionniste est donc conduit à recourir à une stratégie jusqu'au-boutiste qui l'amène à privilégier le mode du "tout" ou "rien". Ce comportement outrancier et excessif vient essentiellement du fait que la personne considérée abhorre (déteste) ce qu'elle est au fond d'elle, en raison de ses propres fêlures: soit le sujet refuse de voir la réalité et nie toute forme d'imperfection, soit ses défaillances narcissiques l'empêchent de s'aimer tel qu'il est.

Ainsi, loin d'être anecdotique, le besoin de se présenter comme "perfectionniste" n'est jamais que la face visible d'une vulnérabilité cachée, qui peut être préjudiciable pour l'individu mais également pour son entourage.

Olivier Meier
Professeur des Universités
Université Paris Est Sup - LIPHA
Observatoire ASAP  - Chaire Innovation Publique (*)



Note 

* Dans le cadre de la chaire ENA-ENSCI-Polytechnique-Sciences Po Paris sur l’innovation Publique, un observatoire dédié à l’impact des transformations sociétales sur l’action publique a été créé en 2019. Les transformations étudiées concernent aussi bien les questions relatives au numérique, à la mondialisation, au développement économique, écologique ou social. L’observatoire ASAP vise par conséquent à favoriser les échanges entre disciplines, collecter et structurer des données issues du monde académique et scientifique, comprendre l’impact des actions et politiques menées en matière de transformations sociétales. L'Observatoire a également pour mission de valoriser par la communication (éditions et publications) les actions conduites ainsi que leurs évaluations.