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​Les réseaux sociaux ou l’âge d’or du terrorisme

Henri Poisot

Alors que la Nouvelle-Zélande est frappée à son tour par la folie de la violence aveugle, comme à chaque attentat de nombreuses personnes s’interrogent sur la responsabilité des réseaux sociaux. Le but terroriste étant toujours de marquer l’opinion, l’apparition de cette interconnexion mondiale instantanée a permis de donner à ces actes une visibilité jamais atteinte dans l’Histoire.

Un médium parfait pour le terrorisme

Le terrorisme est un concept diversement défini à travers le monde, mais les constantes sont les suivantes : blesser ou tuer des personnes ne participant pas d’un conflit armé, réaliser une action qui vise à contraindre une personne morale internationale (États ou organisations) à accomplir ou s’abstenir d’accomplir un acte quelconque.

Ainsi le terroriste cherche à forcer une réaction dans le sens de son combat au travers de la peur, il agit sur la population et son opinion en attaquant des cibles pour déclencher une mutation de la société.

Le but premier du terroriste est donc de frapper l’opinion et à travers elle, la classe politique. Le développement d’Internet et surtout du Web a mis à la disposition de ces acteurs des outils très puissants pour la propagation de leurs thèses et de leurs actes. Mais c’est l’apparition des réseaux sociaux qui est la véritable révolution. Ils sont faits pour accroître la communication et le partage au sein des populations, offrants ainsi aux terroristes un public de dimension planétaire.

Ces plateformes ont créé un nouveau contact, viscéralement plus direct entre les acteurs des attaques (les terroristes) et leurs cibles (l’opinion publique). Loin des manifestes et des revendications filmées du passé qui étaient envoyées à la Presse et la télévision, les terroristes peuvent aujourd’hui diffuser en direct sur internet l’assassinat de 50 personnes. Le meurtrier de Christchurch n’a pas utilisé une autre méthode ayant compris comme les autres tout son intérêt aux vues de propager son idéologie fasciste. La vidéo qu’il a réalisé de son carnage dure 17 minutes et a été vu par 4000 personnes avant qu’elle ne soit supprimée 29 minutes après sa mise en ligne. Elle a été enregistrée et republiée, en entier ou en partie, 1,5 million de fois sur le seul Facebook ! Fort heureusement, 1,2 million de posts ont été bloqués avant même leur publication.
 
Modération complexe et effets pervers

Il y a beaucoup de critiques, comme à chaque attentat, sur la soi-disant complicité des géants du web et leur incapacité à agir rapidement. Il faut comprendre la difficulté de la tâche ! tout d’abord c’est la quantité gigantesque de contenus qui sont mis sur internet à chaque instant, 1,3 million de messages toute les minutes sur Facebook et 400 heures de vidéos sur YouTube. La modération des contenus est complexe et se réalise en deux étapes, un algorithme passe d’abord la vidéo au crible, mais il ne peut comprendre qu’un nombre limité d’informations. Il peut repérer « l’empreinte » de la vidéo et la comparer à la base de données, mais il faut que cette empreinte soit référencée sinon le programme est tout simplement inefficace. Comment différencier une vidéo d’airsoft ou de Ball Trapp avec la tuerie de Christchurch diffusée en direct ? Pour le moment, c’est tout simplement impossible. La deuxième modération est-elle réalisée par des collaborateurs de la plateforme ? S’ils sont nombreux – 15 000 chez Facebook –, ils ne peuvent agir que si le contenu est auparavant signalé par les utilisateurs et surtout suffisamment signalé pour qu’il devienne remarqué. C’est d’ailleurs un métier qui est souvent sous-traité à des entreprises. Modérateur est un travail éprouvant, peu payé, qui expose les personnes à des contenus extrêmement violents et perturbants.

Les terroristes profitent aussi d’un effet pervers des réseaux et du voyeurisme de l’être humain. Les réseaux sociaux fonctionnent sur le « buzz », sur la popularité et le nombre de réactions à un contenu. La curiosité des Hommes est également très souvent morbide. On notera la popularité de sites comme Liveleak qui diffusent des vidéos d’accidents et d’autres catastrophes. Cet attrait combiné à la propagation technique du contenu permet aux actes terroristes d’atteindre leur cible d’une manière encore jamais vue dans l’histoire.
 
Des précédents qui marquent

Si la volonté d’effrayer la population est facilitée par les réseaux sociaux, le recrutement et la propagande le sont aussi. D’abord sous forme embryonnaire, cette pratique a été optimisée par Daesch. Le groupe terroriste a compris l’efficacité de ce médium et ses équipes de presse ont eu autant d’impact que ses combattants.

Les techniques utilisées étaient réfléchies et planifiées : utilisation des mots clefs sur twitter, vidéos de la vie « idéale » au sein du califat, mais aussi les vidéos des exécutions ritualisées en HD et en anglais pour toucher un maximum de monde. Daesch a véritablement créé un précédent dans ce domaine et il sera dur de revenir en arrière.

Le tueur de Christchurch était un utilisateur très actif de la plateforme 8chan. Surtout de sa page /pol/ pour politiquement incorrect. Sa dernière phrase a été « faites des mêmes » (les mêmes sont des associations d’une phrase est d’une image sensée être drôle) il a ainsi encouragé la propagation d’idées racistes et violentes sous la forme de « blagues ». Il a aussi prononcé au sein de sa terrible vidéo : « n’oublier pas les gars, suivez pewdiepie » profitant de la notoriété du célèbre youtubeur suédois.  Toutes ces techniques ont eu pour but de gonfler la couverture médiatique de son acte est ainsi son impact dans toutes les sphères de la société.
 
Alors, comment contrer cette facilité de propager des images et des idéologies épouvantables. La question n’a pas encore de réponse claire. Les réseaux sociaux, c’est nous et nous portons également une grande part de responsabilité parfois involontairement, dans la diffusion de la violence et de l’intolérance.